Moins connue qu’Amsterdam, Delft n’en a pas moins été l’une des principales villes des Pays-Bas du 14e au 17e siècle. Réputée pour ses faïences bleues, elle l’est aussi pour avoir été la ville de Vermeer, l’un des grands peintres du Siècle d’or hollandais auquel deux expositions exceptionnelles sont consacrées au Rijksmuseum d’Amsterdam (billlets épuisés) et au Prinsenhof de Delft.
S’offrir une escapade à Delft – ville aisément accessible en train, via Rotterdam, de la France – permet de se familiariser avec ce peintre et avec l’histoire des Pays-Bas, tout en profitant de l’ambiance très romantique des canaux.
La ville de Vermeer ? Delft bien sûr !
Avec ses 106 000 habitants dont 29 000 étudiants, son université technique (la plus grande des Pays-Bas), Delft est une ville jeune et dynamique. Cependant, le Binnenstad (centre historique) avec ses grandes places et ses canaux bordés de maisons de briques rouges ou ocre, garde les traces de son glorieux passé. Et tout y parle encore de Johannes Vermeer.
Le peintre y est né en 1632. Fils d’un ancien tisserand devenu aubergiste et marchand de tableaux, il s’y est marié, y a peint et exercé, à la suite de son père, le métier de marchand de tableaux, avant de mourir à seulement 43 ans, ruiné par l’effondrement économique provoqué par la guerre entre les Pays-Bas et la France de Louis XIV.
Peintre parcimonieux, Vermeer aurait peint en tout et pour tout 45 tableaux. Les 37 aujourd’hui répertoriés sont dispersés dans le monde entier. Le musée de Delft, le Prinsenhof, lui, ne possède ni n’expose aucun Vermeer.
À l’époque du peintre, les Pays-Bas – protestants – s’arrachent à la tutelle de l’Espagne. À la différence du baroque flamand dans lequel Rubens a excellé à Anvers, resté dans le giron catholique, la peinture néerlandaise évite alors les sujets religieux (interdits par le calvinisme) mais goûte les scènes de genre, les portraits, les natures mortes. L’œuvre de Vermeer en témoigne mais se distingue par l’atmosphère recueillie insufflée à ses tableaux et par le traitement particulier de la lumière.
Des lieux directement liés à la vie du célèbre peintre
Pour percer quelques-uns des secrets de Vermeer et de son temps, il suffit de suivre à pied, dans le centre historique de Delft, le circuit qui inclut douze sites emblématiques liés au peintre, avec panneaux explicatifs in situ : il est présenté dans un dépliant gratuit, avec carte, que l’on trouve à l’office de tourisme. L’entrée de plusieurs sites est payante. Pour bénéficier de réductions, acheter un Vermeer Combiticket.
Quelques-uns au moins de ces douze sites méritent d’être vus. Pour commencer, la Beestenmarkt. Sur cette place aujourd’hui très animée, avec ses restaurants, ses cafés, et l’été, ses terrasses, se déroulait, jadis, le marché aux bestiaux. Vermeer n’y a jamais vécu, mais son père Reynier Jansz, y est né – au numéro 26 – en 1591, tout comme sa sœur Geertruy.
Reynier Jansz, qui a adopté le nom de Vermeer seulement en 1640, s’installera ensuite non loin de là, aux 25/26 de la rue Voldersgracht pour y tenir l’auberge De Vliegende Vos, actuellement fermée. C’est là que le petit Johannes est né.
Voldersgracht est parallèle à la place du Grand-Marché. Du côté opposé, se trouve la rue Oude Langedijk. Au 25 habitait Maria Thins, la très catholique belle-mère de Vermeer. Le peintre a vécu dans sa maison avec sa femme Catharina et leurs nombreux enfants, pendant les quinze dernières années de sa vie.
Sur la place du Grand-Marché s’élance la Nieuwe Kerk (église neuve) où a été baptisé Vermeer. En revanche, il a été inhumé le 15 décembre 1675 dans la Oude Kerk, la vieille église. Reconnaissable de loin grâce à son étrange tour penchée, elle a été bâtie à partir de 1246 entre les deux principaux canaux de Delft, le Oude Delft (c’est le plus vieux canal) et le Nieuwe Delft (nouveau canal).
Le peintre a longtemps reposé dans le caveau familial de sa belle-mère. Lorsqu’après deux siècles d’oubli son œuvre a regagné en notoriété, la Oude Kerk a vu affluer les visiteurs. Il a néanmoins fallu attendre 1975 pour qu’une pierre tombale soit dédiée à Vermeer !
Retour ensuite Voldersgracht. Le n° 21 abritait, jadis, la guilde de Saint-Luc. Cette confrérie de métiers, très active, regroupait tout ce que Delft comptait d’artistes, d’imprimeurs et de marchands d’art. Après son père, Vermeer y adhéra en 1653.
Le bâtiment en brique, largement reconstruit, abrite désormais le Centre Vermeer. Y sont présentées la vie personnelle du peintre, ses méthodes de travail, des œuvres d’artistes de son temps ainsi que la Delft du XVIIe siècle. C’est le seul endroit au monde où l’on peut admirer les 37 toiles connues de Vermeer –ce sont, certes, des reproductions, mais elles sont toutes là et en taille réelle !
Le Prinsenhof
Même s’il ne possède aucun tableau de Vermeer, il ne faut pas rater le Prinsenhof. Non seulement ce musée se trouve sur une jolie place arborée, le long du Oude Delft (vieux canal), mais il loge dans le beau bâtiment en brique qui a abrité, jusqu’au XVIe siècle, un couvent de femmes dédié à sainte Agathe.
Un épisode tragique de l’histoire des Pays-Bas s’y est déroulé. À la fin XVIe siècle, Guillaume d’Orange s’y était installé, avec sa cour. Ce prince avait alors pris la tête de la révolte contre la tutelle du roi d’Espagne qui conduira, après la guerre dite de Quatre-vingts Ans, à l’indépendance des Pays-Bas. Il fut assassiné le 10 juillet 1584 par un fondamentaliste catholique. L’impact des balles reste visible dans un mur.
Rivale d'Amsterdam ou de Bruges pour ses canaux
Delft rivalise avec Amsterdam ou Bruges, tant la balade le long de ses canaux se révèle romantique. Attention tout de même avant de traverser les rues ou d’emprunter les innombrables ponts, les Néerlandais se déplacent à deux-roues à toute vitesse !
À la pointe sud d’une presqu’île formée par les deux principaux canaux, l’Oude Delft et le Nieuwe Delft, un imposant bâtiment en brique a été construit en 1602, alors que Vermeer n’était pas né, pour abriter l’arsenal de la ville. Rénové depuis peu en mettant en valeur son imposante structure en poutres de chêne, il héberge désormais le très élégant hôtel Arsenaal.
Juste en face, sur l’Oude Delft, les armoiries de la VOC, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, ornent toujours le pignon d’un bâtiment cossu occupé à partir de 1631 par cette vénérable maison. Avec plus de 100 navires, six succursales aux Pays-Bas, des bureaux en Asie et des milliers d’employés, elle a été la plus grande société commerciale du monde ! Grâce à elle et à l’empire colonial hollandais, Delft a connu, autrefois, un essor (25 000 habitants) et une prospérité formidables.
Sur l’Oude Delft, en face du Café Uit De Kunst, se trouve la Voordekunst. Cette étrange cabine téléphonique est sûrement la plus petite galerie d’art du monde ! Chaque mois, un artiste différent y expose.
Au-delà de ces points d’intérêt, il est agréable de musarder le long des nombreux canaux. La partie la plus photogénique se trouve à l’angle des rues Nieuwstraat et Wijnhaven. Sur les quais s’alignent boutiques, restaurants et cafés sympas, comme le Uit De Kunst, au 140 du Oude Delft.
Un style qui porte le nom de la ville : le Bleu de Delft
Au moins autant qu’à Vermeer, sinon plus, Delft doit sa célébrité au célèbre « bleu de Delft » dont les origines se trouvent en Extrême-Orient, plus précisément à Nanjing, en Chine, dont la porcelaine était très en vogue à la fin du XVIe s. Dès le XVIIe s, des Néerlandais se sont mis à imiter les motifs exotiques et le travail fin des Chinois. Ensuite, ils ont introduit des motifs hollandais, comme ceux que l’on peut voir sur les toiles de Vermeer.
Lorsque les importations ont été perturbées par des troubles politiques en Chine, les faïenciers hollandais ont pris la relève : toute l’Europe s’est arraché leurs créations. En 1695, la ville comptait 32 usines de faïence, contre deux vers 1600 !
Le musée de Delft, le Prinsenhof, possède de belles collections de vaisselles, parfois sophistiquées, mais aussi d’innombrables carreaux dont certains détaillent, façon BD, les étapes de construction d’un bateau à voile !
Delft compte encore plusieurs faïenceries, avec boutiques. Pour des pièces plus anciennes, voir le marché aux antiquités. Surtout ne pas manquer la Royal Delft (196, Rotterdamseweg), la plus ancienne usine de faïence. Pendant les visites guidées, un maître-peintre réalise un motif à la main. La boutique regorge d’objets à rapporter. Et si l’on a un petit creux, il y a, sur place, le café-brasserie 1653, avec vue sur la cour intérieure.
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